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Révélations sur « l’armée numérique » du Paris Saint-Germain

Le PSG a chargé une agence externe de créer une « armée » de faux comptes Twitter qui a mené des campagnes violentes et ordurières, notamment contre des médias et des personnalités du club de football. Mediapart est l’une de ses cibles privilégiées. Même Kylian Mbappé a été égratigné.

Clément Fayol et Yann Philippin

12 octobre 2022 à 15h28

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« Adrien Rabiot. Gros FDP. Ça bouge pas. » En apparence, il s’agit d’un tweet vulgaire contre l'ancien milieu de terrain du PSG, mais tristement banal dans l’océan des réactions sur les réseaux sociaux. En réalité, ce message posté le 7 mars 2019 fait partie de centaines d’autres qui ont été publiés par des comptes téléguidés en sous-main par la direction de la communication du Paris Saint-Germain.

Alors que la justice française s’intéresse aux opérations troubles menées pour le compte du club de football par un lobbyiste et un ancien policier (lire ici), Mediapart a obtenu un rapport qui détaille par le menu les opérations d’influence effectuées pour le PSG par un sous-traitant entre 2018 et 2020. 

Ce document révèle que le club, détenu par l’État du Qatar, a créé sur Twitter une « armée numérique » de faux comptes, chargée de mener des raids très violents et souvent grossiers contre de nombreuses cibles : des médias jugés hostiles au PSG comme Mediapart et L’Équipe, le supporter giflé par Neymar (lire notre enquête ici), la jeune fille qui a accusé la star brésilienne de viol, mais aussi des personnalités du club comme le joueur Adrien Rabiot et l’ancien directeur sportif Antero Henrique. Stupeur : même l’icône Kylian Mbappé a été égratigné lorsqu’il a laissé entendre qu’il pourrait quitter le club en 2019.

© Sébastien Calvet / Mediapart

Notre document de 50 pages est un rapport, réalisé par l’agence Digital Big Brother (DBB), qui fait le bilan de son activité pour le compte du PSG pour la saison 2018/2019. Immatriculée à Barcelone, DBB est contrôlée par Lotfi Bel Hadj. Cet homme d’affaires franco-tunisien est à la tête d’une myriade de sociétés qui louent leurs services à des personnalités, des entreprises ou des États pour gérer leur communication numérique.

En 2019, Lotfi Bel Hadj et sa société UReputation ont œuvré pour le candidat tunisien à l’élection présidentielle Nabil Karoui, alors que ce dernier était en prison. Facebook a alors fermé des dizaines de comptes et de pages suspectés d’être liés à Bel Hadj, et le think tank Atlantic Council a critiqué ses pratiques d’influence dans un rapport intitulé « Operation Carthage ».

Le rapport précise que cette armée de trolls créée par DBB était supervisée par le service communication du PSG, dirigé à l’époque par Jean-Martial Ribes. Il a été pendant sept ans l’un des plus proches collaborateurs de Nasser al-Khelaïfi, le patron du club, jusqu’à son départ en mai dernier pour le service communication d’une filiale du géant du luxe LVMH.

Contacté, le PSG indique que « le club n’a jamais contracté avec une agence afin de nuire à des individus et à des institutions ». Selon nos informations, s’il n’y a en effet pas eu de contrat avec le club, c’est bien le PSG qui payait les prestations d’influence numérique réalisées par Digital Big Brother.

L’agence nous a d’ailleurs confirmé avoir travaillé pour le PSG sous les ordres de « Jean-Martial Ribes ». « En tant que directeur de la communication, il a été, lorsqu’il était en poste, le garant de la stratégie communicationnelle du Paris Saint-Germain. Et notre rôle auprès de lui […] était d’adapter la stratégie établie par le directeur de la communication d’alors sur l’espace digital, avec nos différents outils », indique DBB.

Contacté, Jean-Martial Ribes n’a pas donné suite. « Il est évident que le président ne s’occupe pas des campagnes sur les réseaux sociaux ou de Twitter, et qu’il n’a ni le temps ni l’inclination d’embaucher des gens pour troller d’autres personnes », nous a indiqué un proche de Nasser al-Khelaïfi.

Jean-Martial Ribes (à gauche) et Nasser al-Khelaïfi lors du congrès de l'UEFA, en février 2019 à Rome. © Andreas Solaro / AFP

Dans son rapport d’activité 2018/2019 destiné au PSG, DBB utilise un ton très opérationnel. Après un bref panorama des événements heureux et malheureux de la saison, l’agence décrit son « armée numérique » : « Il s’agit d’une armée de comptes Twitter “partenaires” . À la différence des célèbres “fermes à trolls”, nos “partenaires” ont une existence réelle. L’armée numérique mise à la disposition du PSG vit foot, pense foot. »

Ces faux profils sont gérés par des humains afin de faire croire qu’il s’agit de vrais fans du club. Le rapport précise que cette « armée » comporte « de nombreux comptes pro-PSG, dont 10 % de comptes réputés “influents” sur les réseaux sociaux (eu égard à leur ancienneté, nombre de followers et pertinence des infos), prêts à intervenir pour sauvegarder l’image du PSG ». Ces comptes « permettent d’influer sur d’autres comptes relayant des informations/rumeurs/scandales », mais aussi d’allumer des « contre-feux » pour tenter « de mettre fin à une rumeur ».

Extrait du rapport d'activité 2018/2019 établi par l'agence DBB pour le PSG. © Document Mediapart

La stratégie s’articule autour d’un compte « de référence », Paname Squad, qui se présente sur Twitter comme un « collectif de passionnés du Paris Saint-Germain ». Lancé en août 2018, ce compte a été alimenté par le PSG en infos exclusives sur le mercato afin de booster son audience et sa crédibilité auprès des journalistes, et ainsi « influencer le traitement sur des sujets d’actualité ». Il a également lancé un site web pour se positionner comme un media. Le compte Paname Squad a tutoyé la barre des 10 000 abonnés avant de redescendre à partir de 2020, lorsque le contrat n’a pas été renouvelé.

Autour du navire amiral Paname Squad gravitent une dizaine de comptes « partenaires », nommés Lana PSG, Ultra Attitude, Janot PSG ou La daronne du parc, chargés d’amplifier les campagnes en mode « troll ». Depuis, la plupart des comptes satellitaires mentionnés dans le rapport de DBB ont été fermés par Twitter.

Selon le rapport, l’« armée numérique » a accompli plusieurs missions : « infiltration de communauté », « prises de contact avec les journalistes influents », « collecte d’informations », « contacts avec la concurrence », et « promotion de la marque PSG ».

Paname Squad a ainsi assuré la promotion de Nasser al-Khelaïfi. Le compte a également fait du lobbying sur des sujets stratégiques, notamment en bataillant contre le fair-play financier (FPF), cette règle de discipline budgétaire édictée par la Fédération européenne de foot, que le PSG a violée de façon massive. Il faut « faire sauter le FPF », écrit notamment Paname Squad.

Extrait du rapport d'activité 2018/2019 établi par l'agence DBB pour le PSG. © Document Mediapart

Un autre volet de l’activité est autrement problématique. Dans son rapport annuel, l’agence DBB décrit neuf « attaques » contre des cibles précises en 2018/2019. « La stratégie de réponses et interactions est travaillée avec l’équipe communication du PSG », précise le document.

L’ « armée numérique » du club a ainsi œuvré pour protéger à tout prix la réputation de l’attaquant brésilien Neymar, acheté pour 222 millions d’euros. Après que la superstar a giflé un supporter du Stade rennais, le compte Paname Squad a publié l’identité complète de la victime et tenté de le faire passer pour un délinquant (lire nos révélations ici).

Lorsqu’une ex-petite amie de Neymar l’a accusé de viol (l’enquête a finalement été classée sans suite), l’« armée numérique » a entrepris de salir la plaignante. « Des versions qui changent à cause des antidépresseurs. […] Ça c’est la karma pétasse », tweete à son sujet le compte Lana PSG.

Paname Squad a aussi lancé des charges violentes contre des opposants. Le patron de l’Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas, qui se plaint du budget quasi illimité offert par le Qatar au PSG, est traité de « pleureuse » et caricaturé en Calimero dans un photomontage. Marseille est qualifiée de « ville de salopes ».

© Sébastien Calvet / Mediapart

Paname Squad sert aussi à dénigrer des personnalités du club lors de conflits internes. À la suite d’un mercato présenté comme raté, le compte a critiqué l’ancien directeur sportif Antero Henrique, affirmant que l’entraîneur et plusieurs joueurs ne « comprennent pas [ses] choix ».

Les attaques les plus insultantes ont visé Adrien Rabiot et sa mère Véronique (qui est aussi son agente), lorsque le joueur est entré en conflit avec le club au sujet des modalités de son départ. Plusieurs comptes de l’« armée numérique » le traitent de « gros FDP », de « sale traître », ou « d’enfant de p***** ». « Il n’a pas les couilles de dégager sa mère qui lui dicte tout et envoie sa carrière dans le mur », ajoute Lana PSG.

Les faux comptes du PSG ont même osé s’en prendre à l’icône Kylian Mbappé, pourtant réputé intouchable. En mars 2019, après des rumeurs sur son éventuel départ au Real Madrid, le joueur déclare à l'émission « Téléfoot » de TF1 qu’il souhaite rester au PSG, malgré l’élimination précoce du club en huitième de finale de la Ligue des champions.

Dans un tweet qui sera effacé par la suite, Paname Squad félicite Mbappé d’avoir fait « taire les rumeurs Madrid et Cie », mais en ajoutant un tacle invitant le joueur à se taire et à se montrer performant : « Maintenant, bossez en silence et faites-vous discrets. Pas besoin de trop de déclaration. On a besoin d’une réponse de terrain. »

Deux mois plus tard, en recevant son trophée de meilleur joueur de la Ligue 1 décerné par l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), l’attaquant met un coup de pression aux dirigeants du PSG : « Je sens que c’est peut-être le moment d’avoir plus de responsabilités. J’espère que ce sera peut-être au PSG, ce serait avec grand plaisir. Ou ce sera peut-être ailleurs. »

Paname Squad poste alors une attaque contre le joueur : « Les supporters parisiens t’aiment beaucoup, tu le sais… T’as fait passer ton “message” ce soir, et quel timing !? Si tu pouvais presser comme ça sur le terrain… »

Mais les attaques les plus fréquentes des comptes secrets du PSG sont menées contre les médias, avec deux cibles prioritaires : Mediapart et L’Équipe.

Extrait du rapport d'activité 2018/2019 établi par l'agence DBB pour le PSG. © Document Mediapart

Fin 2018, « l’armée numérique » a lancé une opération spéciale contre Mediapart, rebaptisé « Mediapartouze », pour contrer les révélations de la seconde saison des Football Leaks, publiées en collaboration avec le consortium EIC et l’émission de France 2 « Envoyé spécial ».

« Soyons solidaires et unis derrière le PSG, ne laissons pas ces vautours salir notre image », tweete Paname Squad. Le compte accuse Mediapart de publier des « fake news » et de faire du « sensationnel » avec pour seul objectif de gagner de l’argent. Notre partenaire allemand Der Spiegel est accusé d’avoir acheté les données au lanceur d’alerte Rui Pinto – ce qui est absolument faux.

L’« armée numérique » a été particulièrement active au sujet de nos révélations sur l’affaire de fichage et de discrimination ethnique du PSG en matière de recrutement des jeunes joueurs. Lana PSG assure que les articles sur ce sujet des « journalistes SDF » de Mediapart sont fausses : « Votre investigation à la con, ça craint pour votre crédibilité. » L’enquête d’« Envoyé spécial » sur le même sujet est qualifiée de « bidon » et de « pipeau ».

© Sébastien Calvet / Mediapart

Plusieurs journalistes de Mediapart ont été la cible d’attaques personnelles, en particulier Yann Philippin, qui a coordonné l’enquête Football Leaks (et par ailleurs coauteur du présent article). Il est traité de « hacker », de « forceur », et invité à « changer de métier ».

Le compte Paname Squad est allé encore plus loin en menaçant, le 16 novembre 2018, de dévoiler les « numéros » et les « échanges » de plusieurs journalistes de Mediapart. Le lendemain, le compte publie les six premiers chiffres du numéro de portable du directeur de Mediapart, Edwy Plenel, rebaptisé « Crawsy le rouge ».

Le second média honni par le PSG est L’Équipe, rebaptisé « L’Epipe ». Le quotidien sportif est régulièrement pris pour cible, par exemple lorsqu’il a révélé l’ouverture d’une enquête judiciaire sur des soupçons de trucage du match entre le PSG et l’Étoile rouge de Belgrade. « Pitoyable », tweete Paname Squad avec un émoticône vomi et le mot-dièse « #BoycottLEquipe ».

La tension atteint son paroxysme le 8 décembre 2018, lorsque L’Équipe publie un article indiquant que le PSG « pourrait se résigner à se séparer de l’une de ses deux stars, Kylian Mbappé ou Neymar », si jamais le club était frappé de « lourdes sanctions » pour violation du fair-play financier.

Le soir même, le PSG publie un communiqué titré « L'Équipe, média de désinformation ». Le club décide d’interdire aux journalistes du quotidien d’assister aux entraînements et aux conférences de presse. Ce boycott inédit va durer plusieurs mois.

La fausse "une" de "L'Equipe" publiée par le compte Twitter "Paname Squad" © Paname Squad

Au même moment, l’armée numérique se déchaîne contre L’Équipe et son directeur de la rédaction, Jérôme Cazadieu. Le 8 décembre 2018, Paname Squad tweete le communiqué du PSG accompagné d’un bisou adressé à @Cazadieu et d’une vidéo d’un homme violemment frappé au visage.

Le même jour, Paname Squad se moque du fait que Jérôme Cazadieu a protesté contre le communiqué du club. « Pourtant, on a toujours été fidèles à notre ligne éditoriale de grosses pu… », fait dire le compte au directeur de la rédaction de L’Équipe.

Le 11 décembre 2018, Paname Squad publie une fausse une de « L’Epipe » mettant en scène Jérôme Cazadieu présentant ses « excuses » au PSG après « ces deux derniers mois de troubles qui ont plongé notre rédaction dans la désinformation ».

Le même compte revient à la charge en mars 2019 avec un autre tweet ordurier : « Comment peut-on respecter L’Équipe avec sa ligne éditoriale putaclic, sa haine viscérale du PSG, et ses journalistes en carton […]. Sombres pu***. »

L’agence Digital Big Brother s’est refusée, « par souci de confidentialité », à tout commentaire sur le contenu des « différentes opérations et campagnes » menées pour le PSG. « Nous sommes tenus à la discrétion concernant les dossiers que nous traitons et les accords que nous signons », précise DBB. Questionné à ce sujet, le PSG n’a pas répondu. 

Reste à savoir désormais si la justice va se saisir de l’affaire. Nelson, le supporter giflé par Neymar dont l’identité a été révélée par « l’armée numérique » du PSG, nous a indiqué qu’il comptait porter plainte.

Clément Fayol et Yann Philippin

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